Mais quelle langue parle-t-on ?

Avertissement : Bien qu’une réforme rétroactive de la loi 101 pénalisant la publication en anglais ne soit pas à l’ordre du jour, je préfère écrire cet article en français. N’eût-été la crainte de recevoir une plainte d’un mouvement de défense du français, j’aurais écrit cet article en anglais dans sa version principale. If you want to read this post in English, please click on the following link : Which language do you use in MTL

Cet article entend clarifier ma situation linguistique quant à ma 3A (même si dans ma tête tout n’est pas très clair ; j’ai eu beaucoup de mal à construire l’article de façon ordonnée). Parce que les interrogations demeurent :

— De toute façon, il est à Montréal, il ne parle que français…

— Mais, McGill c’est anglophone, non ?

— Comment vas-tu progresser en anglais au Québec ?

À McGill

La règle est simple : McGill University est un espace entièrement anglophone. S’il faut utiliser une langue a priori, c’est l’anglais sans aucun doute. Le campus pourrait être transplanté à Toronto ou à Vancouver aisément. L’ensemble du personnel, des professeurs et des étudiants vous adressera la parole en anglais. Les e-mails pédagogiques sont rédigés en anglais ; les cours sont dispensés en anglais (sauf exception). Donc à McGill, je parle anglais. Que les 3A qui m’imaginent ne pas parler un mot d’anglais rectifient leur pensée sur-le-champ, parce que j’en ai bavé du Nehruvian idealism.

Au Québec, la législation provinciale donne le droit aux étudiants de rendre leurs travaux en anglais ou en français. Beaucoup d’étudiants me demandent donc si j’utilise ce « droit » ; il n’en est rien : j’ai rendu tous mes devoirs en anglais, et je rendrai tous les devoirs à venir en anglais. La raison est triviale : quand vos cours sont donnés en anglais et que vos textes à lire sont écrits en anglais, vous pensez votre devoir en anglais et vous le rédigez en anglais. De même, les services administratifs peuvent vous être rendus en français (le personnel reste bilingue), tandis que les panneaux de direction sont écrits dans les deux langues (ce qui donne : Bibliothèque Redpath Library).

Sur les terres de James McGill

Une très large part des étudiants canadiens n’est pas originaire du Québec ; ils sont anglophones (en langue principale). Certains d’entre eux ne parlent presque pas français. La même situation existe parmi les étudiants internationaux ne venant pas de la Francophonie. Ceci explique la forte demande pour les cours de French as Second Language (pour lesquels des placement tests étaient organisés à échelle industrielle) : ces étudiants profitent du fait qu’ils soient à Montréal pour progresser en français.

À Montréal : cas général

Contrairement à une idée très répandue, Montréal n’est pas une ville bilingue. C’est la première ville du Québec, province dont la seule langue officielle est le français. Toutes les indications vous sont données en français, au supermarché comme dans le métro, sur les publicités comme avec les administrations.

Ce n’est pas seulement un état de fait ; c’est aussi une revendication. Vous trouverez ainsi des autocollants « Au Québec, on communique en français ! » diffusés par l’Office québécois de la langue française. Les partis politiques provinciaux parlent même de l’objectif de « francisation » des immigrés. La Loi 101 dispose (notamment) que les publicités seront rédigées exclusivement en français, que les commerçants sont tenus de pouvoir servir en français, et que les entreprises doivent adopter le français comme langue de travail. Le gouvernement Marois prévoit de renforcer cette loi, notamment dans le domaine de l’enseignement.

Parfois, cela conduit à des situations étranges. On parle de la rue University et non de University Street. Les KFC ont été renommés PFK (pour Poulet Frit du Kentucky) et certains puristes reprochent à WalMart de s’appeler WalMart (parce que WalMart c’est anglais). Et il y a ça :

Si ça, ce n’est pas du zèle…

Cependant, Montréal n’est pas un Paris d’Amérique du nord. Car le français québécois n’est pas le français de France. Bien sûr. Ce n’est pas un reproche ; il est évident qu’une langue évolue différemment quand elle est parlée par deux communautés séparées. Contrairement à ce que laisse entendre Jules Verne dans Vingt Mille Lieues sous les Mers, Ned Land ne parle pas le français de Rabelais, mais le français du Canada. Il y a déjà l’accent (que je ne chercherai pas à commenter). Il y a aussi le lexique qui diffère. Exemples (consultez ce dictionnaire pour plus d’explications) :

  • condo(minium)
  • altérations de vêtement
  • des fois
  • c’est correct ?
  • dans le fond
  • circulaire
  • déjeuner jusqu’à 11h
  • melon d’eau et chaudron
  • en manchette
  • bienvenue et à tantôt

Ajoutez à cela que leurs phrases sont ponctuées de « la » (ou plutôt de « lo ») ; que les articles indéfinis sont justement oralement indéfinis (pas de « un » ou de « une » mais une sorte d’intermédiaire quelque soit le genre) ; qu’on se tutoie (donc ne giflez pas la caissière si elle vous demande « veux un sac ? »). Dans certaines expressions, on sent l’influence de l’anglais.

À côté de ça, je me demande pourquoi on insiste tant sur les micro-différences entre l’anglais britannique et l’anglais américain…

Rue Sherbrooke Ouest | Rue University

À Montréal : cas particuliers

Le tableau extrême dressé dans la partie précédente doit bien sûr être nuancé. Comme dans toutes les villes du monde, les principales informations sont doublées d’une version en anglais (en italique). Par ailleurs, les Montréalais savent généralement s’exprimer dans les deux langues (bien que ce bilinguisme soit inégal).

Quand il s’agit de sauver des vies… (vu près du Complexe Guy-Favreau)

Le poncif selon lequel Montréal serait « bilingue » vient du fait qu’une très forte minorité anglophone est établie à Montréal, essentiellement dans la partie ouest de l’île de Montréal (par exemple à Westmount). Cette communauté est composée à la fois de « Québécois anglais » (établis depuis longtemps), et de Canadiens venus d’autres provinces (arrivés plus récemment). Historiquement, les Québécois anglais ont énormément compté dans l’Histoire de Montréal et du Canada, comme l’indiquent les noms de rues (il faut savoir que Montréal a été la ville la plus importante économiquement et culturellement du Canada jusqu’au début du XXe siècle).

Par ailleurs, à Montréal comme ailleurs dans le reste de l’Amérique du nord, on est assez tolérant à l’égard des autres langues (allophonie). En France, tout le monde se serait retourné dans la rue si mes parents m’adressaient la parole en chinois (et pas vraiment pour en dire du bien). Ici à Montréal, c’est tout le contraire : le multilinguisme est une chance, pas un manque d’intégration (par extension, la diversité ethnique et culturelle). Ainsi, dans la succursale HSBC sur le boulevard René-Lévesque (quartier chinois de Montréal), vous êtes servi en français, en anglais, en chinois et en cantonais. Vous trouverez encore plus de langues à la Royal Bank of Canada (à croire que c’est un repaire de polyglottes). Et dans le métro, certaines conversations sont menées dans des langues que je n’arrive pas à identifier.

Cependant, cela suscite des interrogations. Les immigrés non-originaires de la Francophonie privilégient souvent l’anglais au français (reportez-vous à l’exemple du commis de change ci-dessous), si bien que de nombreuses personnes ne parlent pas le français, ce qui est problématique. Les autorités essaient de lutter contre ce phénomène, en imposant l’enseignement en français aux enfants de familles non-francophones.

Le vigile de la HSBC a dû se demander quel genre de client prenait en photo le guichet automatique…

Ce que j’en ai pensé

Pour ma 3A, j’avais pour objectif principal de progresser en anglais. McGill s’était retrouvée dans ma liste en raison de son très bon niveau académique, et je l’ai fait avec d’autant moins de préoccupation que j’étais persuadé que Montréal était une ville bilingue (première erreur très grossière), et que par conséquent on pouvait y vivre sans avoir à parler français (deuxième erreur encore plus grossière).

Durant les premiers jours, j’ai cherché à parler exclusivement anglais (et ai réussi). C’était assez facile car j’habitais temporairement dans une famille anglophone, dans un arrondissement anglophone/allophone (Saint-Laurent). Il me suffisait de ne pas dire que j’étais Français (ce n’était qu’un mensonge par omission).

Puis ça c’est compliqué quand j’ai déménagé dans mon appartement, à Mercier-Hochelaga-Maisonneuve (arrondissement on-ne-peut-plus francophone, Québécois « pure laine »). Certes on vous sert volontiers en anglais si ça semble être la langue dans laquelle vous êtes le plus à l’aise. Mais s’il s’avère que vous êtes meilleur francophone qu’anglophone, gare à vous. C’est ce qui s’est passé deux fois pour moi.

  • La première fois, c’était pour obtenir un téléphone portable. Après avoir mené toute la discussion en anglais avec l’employé de la société F., j’ai dû lui présenter une pièce d’identité pour remplir le contrat – mon passeport français ; j’aurais aussi pu lui jeter une cruche d’eau glacée à la figure.
  • La deuxième fois, c’était à la caisse du supermarché Provigo. La caissière m’a demandé plusieurs fois s’il n’était pas possible que je lui parle en français. J’ai persisté à lui parler anglais jusqu’à ce qu’un mot en français m’échappe. Elle a eu la réaction de Louis de Funès (http://youtu.be/yLrtkFJ-6-w?t=1m50s).

Donc maintenant que fais-je ? À McGill, je fais tout en anglais. En dehors de McGill, ça dépend. Si la personne qui me précède parlait anglais, ou que les indications sont clairement indiquées dans les deux langues, je tente l’anglais. Sinon, j’essaie de jauger l’interlocuteur. La présence d’un autocollant « On gagne à parler Français ! » suffit à me faire passer au français. Je sais aussi que près de l’université McGill, l’anglais est nettement plus utilisé que près de chez moi – cf. statistiques linguistiques.

J’ai parfois l’impression de ne jamais adresser la parole dans la bonne langue. Parfois, je cherche à parler en anglais, mais je me rends compte que mon interlocuteur est clairement meilleur en français. Parfois, je m’adresse en français, mais je me rends compte que la personne en face (et même : une fois, au bureau de change, le commis m’a répondu sèchement « English only« ). La Loi 101 (qui oblige les commerçants à utiliser le français si le client le leur demande) n’est donc pas vraiment bien appliquée partout.

Une affiche de l’Office Québécois de la Langue Française

De même, j’ai évoqué l’accent québécois. Il m’est parfois arrivé de très mal comprendre ce que mon interlocuteur voulait dire en français (québécois) ; si mal que j’ai fini par demander de continuer la conversation en anglais. Ce sont des choses qui arrivent.

Et ce n’est pas dans cet article que je m’aventurerai à prendre partie (bien qu’implicitement j’ai distillé ma position un peu partout). Ce n’est pas ici que vous lirez un plaidoyer en faveur de l’usage généralisé de l’anglais, ni un éloge de la Francophonie !

PW